Budgets participatifs : pourquoi pas, mais peut mieux faire, et à voir en pratique

Lors d’une délibération du dernier conseil municipal du 4 avril, a été décidée la mise en place de budgets participatifs. On retrouvera dans ce billet l’intervention de notre groupe – oralisée par Arnaud Saint-Martin – sur ce dossier. Notre avis ? Eh bien, il était temps d’avancer sur ce dernier, mais nous serons attentifs sur sa mise en œuvre et d’emblée, il faut souligner que le budget alloué reste modeste, bien loin des promesses électoralistes de 2020.

Nous progressons donc sur cette proposition des budgets participatifs. Cela va dans le bon sens et notre groupe soutiendra cette initiative. Mais pas sans exprimer des réserves et des remarques opérationnelles sur le dispositif qui, en théorie, permettrait à des citoyen·nes non élu·es de participer à la conception ou à la répartition des finances de la ville de Melun.

D’abord : dans la note de présentation, cette mise en place en 2024 est présentée comme incarnant « l’engagement résolu de la municipalité en faveur de la démocratie citoyenne » : je serais la majorité, je ferais profil bas en la matière, car entre les comités de quartier zombifiés, la poussive « Maison du citoyen et de l’Europe » et ce budget qui n’est lancé qu’aujourd’hui, 4 ans après le début du mandat, c’est plutôt l’irrésolution engagée ! Je le dis sans ironiser : vous avez fait une promesse intenable. Si vous reconduisez la mesure pour un deuxième round à venir en 2025-2026 (je pars du principe que le troisième round n’est pas forcément acté, puisque la sélection aurait lieu après l’élection de juin 2026 : il se pourrait qu’une nouvelle majorité fasse autrement ou même abandonne carrément cette mesure), ça ne représenterait que 300 000 euros sur les 4 millions envisagés. 7,5 % seulement. D’autres promesses sont restées en l’air, et cela en dit long sur votre capacité à survendre la Lune. C’est aussi, soit dit en passant, une incitation aux Melunais qui nous regardent à envisager avec discernement et lucidité les promesses qui leur seront faites d’ici à 2026 par la majorité bientôt sortante.

Concernant le montant de l’enveloppe allouée : là encore, il faudrait faire montre de modestie. Dans la stratégie de campagne qui fut celle de votre majorité en 2020, vous avez cherché à séduire un segment de l’électorat, plutôt à gauche, par une promesse qui était alors encore très identifiée comme à gauche, historiquement liée à l’histoire de l’altermondialisme, et l’idée de révolution citoyenne horizontale depuis les villes. Au tournant des années 2020, 80 % des villes qui proposaient des budgets participatifs étaient classées à gauche, et ça s’est un peu rééquilibré depuis, vu que l’intérêt démocratique de cette stratégie est jugé digne d’expérimentation. Vous aviez proposé initialement 4 millions d’euros sur 6 ans, soit 666 000 euros par an. Ramené au nombre d’habitants, cela revenait à environ 15 euros par habitant et par an. C’était déjà très en-deçà de ce qui est entériné dans d’autres villes. En 2022, parmi les grandes villes, c’est 35 euros à Paris, 27 à Montreuil, 24 à Lyon, 16 à Rennes. Carpentras, ville de 30 000 habitants, y consacre 20 euros par habitant et par an. En 2022, 400 villes y ont recours en France. La moyenne se situe à 6,50 euros par habitant, soit le double de ce qui est proposé à Melun aujourd’hui.

L’orientation pose question. J’avais posé la question du fléchage imposé par la majorité municipale lors du débat d’orientations budgétaires le 14 mars 2024. Les projets, lit-on dans la note de présentation, doivent porter « sur des actions en lien avec la transition écologique comme la plantation d’arbres ou des aménagements de pistes cyclables » C’était tout sauf « participatif » : décidé par une équipe majoritaire qui entend mener sa politique. Dans le dossier qui a été publié après le conseil municipal, ce double fléchage est devenu « Nature en ville et biodiversité » et « Vélo en ville ». Quand bien même ces axes sont importants voire critiques, cela revient non seulement à réduire le périmètre de l’action citoyenne participative (bien d’autres axes auraient pu être proposés, et par la voix de citoyen·nes consulté·es en amont) mais en plus, cela transforme d’emblée cette contribution des Melunais·es en ressource supplétive de l’action politique de la majorité. La page de présentation sur le site de la ville est disert, mais c’est peu dire qu’il faudra être vigilant dans la mise en place.

S’agissant maintenant de l’organisation. On aurait tendance à dire : peut mieux faire, ou même, doit mieux faire. Parmi les sources d’interrogation, il est précisé dans la note de présentation que « les projets soumis seront évalués par les services municipaux pour en vérifier la recevabilité et la faisabilité technique, juridique et financière ». C’est utile, et on peut faire confiance aux services de la ville pour apporter leur précieux concours, mais c’est aussi leur conférer un poids énorme dans le processus. S’ils peuvent contribuer sous la forme d’un accompagnement dans le montage des projets, pour qu’ils soient dans les clous, le fait que leur recevabilité soit évaluée par ces mêmes services pose une question politique. Dans l’absolu, ce n’est pas à eux d’établir cette présélection visant à mâcher le travail d’un jury juste là pour hiérarchiser les projets.

On remarque au passage que les citoyen·nes, qu’il s’agit de concerner au service du « bien-vivre ensemble », ne sont pas consulté·es. C’est dommage. Dans la plupart des villes qui mettent en place des budgets participatifs, des systèmes de votation sont organisés : qu’ils passent par des séances exceptionnelles en assemblée citoyenne, par vote à main levée, ou par des consultations via des applications numériques dédiées (les opérateurs de civic tech ne manquent pas), ces votes permettent d’enrôler davantage. Ce n’est sans doute pas la panacée, car le taux de participation est relativement faible et les gens mobilisés sont déjà intéressés (sans même parler des triches, qui ont pu s’observer dans certaines villes, par le bourrage d’urnes ou les campagnes de déstabilisation), mais cela réalise un peu plus l’idéal participatif. Or là, c’est une autre voie qui a été choisie : on ne peut que le regretter.

Pour ce qui concerne maintenant la composition du jury. Nous ne pouvons que saluer l’effort de la majorité d’intégrer les groupes minoritaires en leur offrant une voix (je représenterai notre groupe) : c’était bien le minimum. On notera, en passant, que « Le Maire, ou son représentant, en sa qualité de président, dispose d’une voix prépondérante en cas de partage des voix au sein du jury » : on ne voit pas pourquoi il en serait ainsi dans un jury qui affiche la règle de participation et d’inclusion horizontale. Et on se pose la question du suivi d’un projet lauréat qui n’aurait pas emporté complètement (ou même pas du tout) l’adhésion du jury, notamment des élus majoritaires, et qu’il s’agirait pourtant de réaliser comme il se doit. Quelle marge de manœuvre ? Quelle autonomie ?

Cela dit, sur le papier, il est bon aussi d’associer des « citoyens volontaires » : 7 membres désignés par les Comités de quartier, 2 membres du Comité local de transition écologique, 2 membres du Conseil consultatif des Jeunes, et 2 membres du Conseil consultatif des Seniors. On a demandé en séance comment ces membres seront désignés dans leurs instances respectives, mais pour l’heure, tout reste à faire – et vite.

S’agissant de la communication autour du concours : il serait bon que la ville en fasse le maximum, et pas seulement sur ses espaces numériques, site de la ville (tout y est sur une page dédiée) et réseaux sociaux numériques. Le dossier peut être récupéré ou disponible en version papier dans l’une des structures suivantes à la Maison du citoyen et de l’Europe, à Mairie +, aux centres sociaux ainsiq qu’à la Maison des associations « Jean XXIII » (sic). Le dépôt des projets est fixé au 15 juin 2024 : c’est demain et cela risque d’être sportif de boucler des propositions robustes et à la hauteur des exigences techniques des services chargés d’évaluer la recevabilité de celles-ci. Une fois ce premier filtre passé, il serait également de bonne méthode d’organiser des présentations publiques, en présentiel, bien en amont de la sélection, pour entretenir une sympathique émulation autour du concours et d’associer toujours plus de citoyen·nes.

Le règlement prévoit que le ou (les ?) projet(s) « sélectionnés comme lauréats seront approuvés par le Conseil Municipal et pris en charge par la Ville, tout en impliquant les porteurs de projets dans leur réalisation ». Soit, c’est l’ultime phase de validation : mais imaginons, que se passerait-il si d’aventure, pour x raisons, le conseil municipal ne les approuvait pas ?

Parmi les bons points : le calendrier nous semble raccord. Il est suffisamment calé en amont pour mettre en œuvre le ou les projets en 2024-2025. Dans la phase d’implémentation, il faudra se doter des outils de suivi pour mesurer l’adéquation des moyens employés aux finalités portées dans le projet, au caractère atteignable des objectifs, au fait que ça ne doit pas dépasser le créneau imparti, et faire en sorte de négocier les éventuels dépassements budgétaires ou déphasages du projet en cours de réalisation. Des présentations au public seraient utiles pour concerner et intéresser d’une année sur l’autre, en montrant que le dispositif est dynamique, souple et inclusif.

Ultime point : quoi qu’il arrive, à Melun et ailleurs, ces dispositifs relèvent de l’expérimentation et il faut être conscient de leurs limites. C’est une piste intéressante, que nous porterions sans doute, mais il convient d’en constater aujourd’hui les limites sur la redémocratisation de l’action publique. Comme l’explique la politiste Alice Mazeaud, spécialiste de ces questions, « Outils de démocratie citoyenne, [ces dispositifs] ne rencontrent pas toujours leur public et prêtent le flanc à des instrumentalisations ». Pire, explique l’expert Gilles Pradeau, le « budget participatif pourrait se transformer en une compétition malsaine entre associations, dépendant du carnet d’adresses de chacune et de leur capacité à faire campagne, quelle que soit l’utilité des projets. » Il pointe le risque « d’un bourrage d’urnes » et d’une mise en concurrence délétère des acteurs déjà investis dans les communes, luttant pour grapiller les dernières miettes participatives du budget municipal. De son côté, la majorité pourrait élire des projets parce qu’ils vont fort opportunément dans le sens de sa politique : une forme d’externalisation sous couvert de participation. Ou comment s’acheter une conscience « participative » à peu de frais, et sur nos ressources publiques. La démocratie participative a bon dos, et le mot est démonétisé à force.

Bref, puisque les oppositions sont invitées à participer, nous honorerons l’invitation, en allant y vérifier en pratique que l’important, c’est de participer.

Image en bandeau : visuel diffusé par la ville sur la page de présentation dédiée aux budgets participatifs.

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